Trahison de la gauche, haine vertueuse… : rencontre à Bruxelles avec la sociologue Eva Illouz

L’Institut Jonathas a eu le bonheur d’accueillir Eva Illouz à l’occasion de son passage à Bruxelles lors d’un déjeuner-débat, le 17 décembre au CCLJ.

Eminente sociologue franco-israélienne, Eva Illouz a publié, en octobre 2024, dans la collection Tracts de Gallimard, un essai court et lumineux Le 8 octobre. Généalogie d’une haine vertueuse.

A Bruxelles, sous la forme d’un entretien avec Joël Kotek, elle a partagé ses analyses sur la jubilation synchronisée qui a frappé, dès le 8 octobre, des artistes, des élites intellectuelles et des campus universitaires dans toutes les grandes capitales occidentales, face aux atrocités commises par le Hamas, filmées et diffusées en temps réel.

Ses propos ont couvert un champ très vaste dont les différentes composantes convergent vers une « haine ontologique » qui veut mettre fin à l’existence de l’Etat d’Israël : French theory en sciences humaines, compétition entre les minorités, matrice décoloniale, mutation de la gauche, déstabilisation de l’occident…

Aux yeux de celles et ceux qui brillent, depuis le 7 octobre, par leur absence de compassion, « les Juifs sont devenus une minorité dominante » et « le conflit israélo-palestinien est seulement une histoire d’oppresseurs et d’opprimés ».

De ce fait, de nombreux antisémites ne se voient pas, eux-mêmes, comme des personnes ayant de la haine pour les Juifs, mais comme des personnes qui « défendent le monde contre le danger que représentent les Juifs » car, à leurs yeux, « le Juif est dangereux pour l’Humanité ».

Tout ceci amène Eva Illouz à voir l’antisémitisme comme « une haine vertueuse », source de « confort cognitif » quand on veut une théorie très simple pour comprendre le monde.

A tous ceux qui partagent ce même objectif, comprendre le monde, qui en acceptent la complexité, les transitions et les ruses, et qui veulent des éclairages pour s’y frayer un chemin, nous recommandons vivement la lecture de l’œuvre d’Eva Illouz avec une mention spéciale pour son tract, déjà cité, d’octobre 2024 et pour son ouvrage, publié en 2022, Les Emotions contre la Démocratie, analyse remarquable de quatre émotions qui soutiennent les grands récits populistes en Israël.

Eva Illouz est une éminente sociologue et auteure franco-israélienne, connue pour ses travaux sur les émotions, l’amour, la culture, ainsi que leur rôle et leur instrumentalisation dans les sociétés contemporaines.

Née en 1961 à Fès au Maroc, Eva Illouz a grandi en France et étudié aux Etats-Unis, avant de s’installer en Israël. Aujourd’hui, elle est notamment professeur de sociologie à l’Université hébraïque de Jérusalem et directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris.

Plusieurs prises de position marquantes depuis le 7 octobre 

Depuis les massacres du 7 octobre 2023, Eva Illouz a pris position publiquement à plusieurs reprises et ses analyses ont marqué le débat public.

A chaud, dès le 9 octobre 2023, elle a livré une vision magistrale des massacres dans une interview au magazine Le Grand Continent, intitulée « la rage va remplacer la terreur ».

En février 2024, dans une interview au magazine américain Forward, elle a exprimé la double nécessité d’œuvrer à la résolution pacifique du conflit israélo-palestinien et de lutter contre l’antisémitisme sous toutes ses formes : « never has peace seemed so necessary and impossible ».

Début octobre 2024, elle a publié, dans la collection Tracts Gallimard, un court essai intitulé « Le 8 octobre. Généalogie d’une haine vertueuse », où elle questionne l’absence de compassion des milieux progressistes occidentaux face au 7 octobre. Ici un lien vers la recension de cet essai dans Le Monde.

Deux extraits de l’essai d’Eva Illouz sur la haine vertueuse

En avant-goût de la rencontre avec Eva Illouz le 17 décembre au CCLJ, nous reproduisons ici quelques-unes des dernières phrases de son essai « Le 8 octobre. Généalogie d’une haine vertueuse » :

« L’antisionisme, version intellectuellement respectable de l’antisémitisme, apporte un confort cognitif et identitaire. Il simplifie le réel, affirme l’identité de groupe des groupes minoritaires victimes du racisme et alimente le capital de la gauche progressiste qui les soutient. Ce confort est d’autant plus grand que l’antisionisme se présente comme une idéologie vertueuse. »

« On ne défend pas mieux les Palestiniens en faisant montre de haine vertueuse à l’égard d’Israël. Et défendre Israël, ce n’est pas renoncer à se battre pour le droit des Palestiniens. La haine dégrade et décrédibilise. L’invoquer pour défendre les Palestiniens ne fera que retarder une solution juste pour eux. Pour faire advenir leur Etat, nous devons œuvrer avec la même détermination pour que les Juifs n’aient plus à se justifier sur l’existence d’Israël. »

Bibliographie (extraits)

  1. Consuming the Romantic Utopia (1997), une analyse de l’impact de la consommation sur la perception de l’amour et du bonheur.
  2. Les sentiments du capitalisme (2006), une étude sur la façon dont les émotions sont façonnées par le capitalisme.
  3. Pourquoi l’amour fait mal : L’expérience amoureuse dans la modernité (2012), une analyse sociologique de la souffrance amoureuse dans les sociétés modernes.
  4. Happycratie, avec Edgar Cabanas (2018) : une critique de l’industrie du bonheur et du développement personnel.
  5. Les émotions contre la démocratie (2022) : une analyse en Israël de quatre émotions qui soutiennent les grands récits populistes.