Le 7 octobre, la Belgique et moi #31
אֲנַחְנוּ – Anakhnou
Laurent Doumont
3 novembre 2025
Le matin du 7 octobre 2023, tôt le matin, Noémi, ma femme, m’a mis au courant d’une incursion de terroristes en territoire israélien.
Plus tard dans la journée nous avons découvert l’horreur, indescriptible. L’ampleur de l’attaque, sa cruauté, sa diffusion en direct, les viols, le festival Nova, la jeunesse des victimes, le nombre de morts… et les otages. Deux cent cinquante et un innocents, que nous avons crus perdus à jamais. Nous avons pris des nouvelles de la famille et de nos amis en Israël. Les uns sidérés, les autres en colère, certains ne répondaient pas, ou à peine. Nous étions stupéfaits, interdits. Noémi s’effondrait, je tentais de réfléchir.
Ma première pensée fut qu’il faudrait prendre le temps de la réflexion avant d’entamer une riposte, qu’elle soit intelligente, pour préserver les otages et les civils de Gaza. La seconde a été – je vous jure que c’est vrai- que les pro-palestiniens antisionistes resteraient silencieux pour un bon moment et qu’à terme, la réalité des faits les marginaliseraient complètement. Le masque du Hamas était tombé, plus personne ne suivrait ces monstres ou leurs suppôts…
J’avais tendance à l’optimisme. Ça m’est passé.
Dès le 8 octobre au soir, on criait “Free Palestine” sur les marches de la Bourse. Les jours, les semaines, les mois qui ont suivi ont été une longue désillusion. Des médias du monde entier ont repris à la lettre les chiffres, le vocabulaire, le récit des terroristes. Les réseaux sociaux ont débordé de fake news. « From the river to the sea, apartheid, génocide, colonialistes… » : en quelques semaines les mots-clé de l’antisionisme étaient sur toutes les lèvres, de toutes les pages. Le poison du mensonge s’est infiltré de toutes parts et a fait tache d’huile. De l’allusion perfide à la menace assumée, l’antisémitisme a suinté de partout.
Dans ce contexte, la Belgique n’a pas manqué…de décevoir.
Trop attachée à son art du compromis, elle a mis sur un pied d’égalité les terroristes et les démocrates. Équilibrée dans ses intentions, faible et lâche dans les faits.
Si les cris de haine sont douloureux à entendre, le silence qui les accompagne l’est parfois davantage. Beaucoup de nos amis se sont tus, la plupart n’ont rien compris à ce que nous vivions. Nous nous sommes fâchés avec certains, d’autres ont simplement disparu. Les marques d’empathie après le 7 octobre ont été, et sont encore, rarissimes.
Dans ce tourbillon, nous avons cherché nos repères. Bien qu’impliqués dans la vie juive bruxelloise par nos jeunes, nous vivions en dehors de la « communauté ». Nous avions, à vrai dire, peu d’amis juifs à Bruxelles. En entendant notre trouble, un ami de la famille nous a invités à nous rapprocher d’eux, ce que nous avons fait. D’abord timidement, puis avec plus d’affirmation, nous avons milité. Contre la désinformation, contre l’antisémitisme, pour le droit d’Israël d’exister, et surtout pour la libération des otages. Pendant deux ans, chaque dimanche, nous nous sommes réunis et avons marché en brandissant leurs portraits, scandant “Bring them home now!“ Là, nous avons tissé des liens forts, inaltérables, avec nos nouveaux amis, presque tous juifs.
Je suis né dans une famille italo-belge et j’ai grandi dans la tradition et la foi catholique. J’ai rencontré ma femme, française et Juive, à Paris. Ensemble, il y a un peu plus de vingt ans, nous avons décidé de vivre à Bruxelles (j’ai parfois envie de m’en excuser) et d’y élever nos enfants. Ils ont grandi dans les deux cultures, entre l’école du Sacré-Coeur et la JJL. Nous allumons les bougies de Hanouccah près du sapin de Noël et l’os du gigot d’agneau de Pâques se retrouve toujours sur le plateau du Seder de Pessah. Un joyeux syncrétisme laïque. Aujourd’hui, nos enfants sont de jeunes adultes qui s’identifient comme Juifs. Me voilà père d’une belle petite famille juive.
Comme je l’ai décrit plus tôt, après le 7 octobre je me suis engagé, principalement contre l’antisémitisme, pour Israël et pour les otages. J’ai néanmoins tenu à rester discret sur les réseaux sociaux car j’exerce un métier public ; je suis musicien de jazz. Et l’on connaît le goût du jugement définitif et de l’exclusion, chez certains vertueux autoproclamés.
Je n’ai jamais écrit sous pseudonyme, car je dois rester visible pour exister dans ma vie artistique. Un jeu d’équilibriste… Quelques écrits intolérables m’ont parfois fait sortir de ma réserve. Mes réponses ont suscité peu de réactions, mais le bruit a couru : LD est sioniste.
J’en ai eu vent récemment. Un gérant de club de jazz du centre ville tentait de se dédouaner de l’antisémitisme dont on l’accusait par le fait qu’il m’avait invité à jouer. Nous ne le savons que trop, du sioniste au Juif – et vice versa – il n’y a, pour les antisémites, qu’un pas, allègrement franchi.
Une amie m’a fait remarquer que je dis nous quand je parle des Juifs. Je lui ai répondu que c’était plus simple, que cela marquait la différence avec eux, ceux qui nous détestent. Je dis nous, parce que j’ai beau ne pas être Juif, je suis avec les Juifs.
Mais cette nuance a-t-elle encore un sens, à l’heure où chacun est assigné à un camp, et où l’appartenance à ce camp nous essentialise ?
Qu’est-ce qui me distingue de mes amis juifs, au fond ?
Lorsque je suis blessé ou horrifié par des propos ou des actes antisémites, pas grand-chose.
Lorsque je m’inquiète pour la sécurité de mes jeunes et que je leur recommande de garder leur Magen David sous leur pull quand ils sortent, rien non plus.
Nous sommes semblables dans notre désarroi, identiques lorsque nous trouvons du réconfort dans les dessins de Joann Sfar, les discours de Caroline Fourest ou de Sophia Aram, les spectacles de Sam Touzani ou d’Ismaël Saïdi.
Nous avons vécu ces deux années avec les mêmes doutes, la même tristesse, la même révolte.
Nous avons suivi le retour des derniers otages vivants de Gaza avec la même émotion, les mêmes larmes.
Nous nous posons les mêmes questions, nous nourrissons les mêmes inquiétudes pour notre avenir et celui de nos enfants.
Et nous savons aussi nous retrouver et faire la fête ensemble pour traverser tout cela !
À bien y réfléchir, il y a dans ce nous plus que de la solidarité, c’est un nous fraternel.
Alors, Juif ? Si vous voulez…
Certes, un Juif de circonstance, presque d’occasion, un Juif errant sans ketouba, sans brit milah, sans bar mitzvah mais un Juif adoubé trois fois : désigné par les haineux ; oublié, incompris de la majorité trop souvent silencieuse ; enfin et surtout, accueilli, embrassé par mes amis juifs, heureux de me savoir, non plus seulement à leurs côtés, mais parmi eux.
Créé en mars 2024 suite aux massacres du 7 octobre et à leurs répercussions en Europe, l’Institut Jonathas est un centre d’études et d’action contre l’antisémitisme et contre tout ce qui le favorise en Belgique.



