Le 7 octobre, la Belgique et moi #34

Le « oui mais » de la honte

Dr Maurice Sosnowski, professeur de médecine émérite, ancien président du CCOJB

04 décembre 2025

Bulletin d’information inquiétant à la radio, et puis, sur CNN, je vois l’horreur, l’inimaginable : un pogrom en Israël. Une jeunesse faisant la fête, assassinée lâchement, froidement. Ces merveilleux kibboutzniks idéalistes, pacifistes que j’avais rencontrés il y a une douzaine d’années avec des journalistes, dont ceux de la RTBF (reportage trop positif jamais retransmis), massacrés par ces Gazaouis qu’ils côtoyaient journellement dans leurs champs. Je suis glacé. À la RTBF, invité du JT, Dubuisson, de l’ULB, justifie ces scènes : « Oui, mais les Gazaouis sont enfermés. »
Les bras m’en tombent. Un professeur d’université justifie un pogrom.

Progressivement, on découvre l’étendue du carnage : femmes enceintes éventrées, d’autres violées, enfants égorgés devant leurs parents… Aucune réaction des groupes de défense féministes, pourtant tellement actifs lorsqu’un « people » est accusé de viol. Ici, rien d’hypothétique… mais ce ne sont que des juives.


Je pense à mon père victime du premier ghetto installé en Pologne (Piotrków Trybunalski) avant d’être envoyé à Dachau et qui se sentait tellement redevable à la Belgique de l’avoir accueilli au sortir de la guerre. Aujourd’hui, que penserait-il, que pourrais-je lui dire devant tous les signes d’abandon que nous connaissons ? Silence assourdissant de nos autorités sur le pogrom, sur les otages. La réaction israélienne jugée disproportionnée. C’est quoi une réaction proportionnée face à la barbarie ?


Rapidement, le mot génocide apparaît dans la bouche de ces mêmes responsables politiques. Comme le rappelle Philippe Sands, crime de guerre, voire crime contre l’humanité, n’est-ce pas suffisant ? Non, le mot génocide revient sans cesse afin de déculpabiliser le monde qui s’est trop excusé de la Shoah. L’occasion est belle de renverser l’accusation sur les juifs. Probablement par clientélisme, le Président du Parti socialiste le prononce et le répète.

Marche contre l’antisémitisme : nous sommes 5 000, plus de 80 % sont juifs. Où se trouvent les politiques, pourquoi mes amis non juifs sont également absents ?
Leur indifférence, c’est ma solitude.
Le monde est dangereux à vivre, non pas tant par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire (Einstein). Par contre, 150 000 personnes marchent pour la Palestine, nombre d’entre eux crient « From the river to the sea », souvent sans en connaître la signification, personne pour interdire ce mot d’ordre génocidaire.

Un éditorialiste flamand écrit dans un journal : « J’ai envie enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque juif que je rencontre ».
Aucune condamnation.
Plainte en justice rejetée : « C’est de l’humour ».
Leur haine, c’est ma révolte.

Le Bourgmestre de Bruxelles interdit le match de football devant opposer la Belgique à Israël… pour des raisons de sécurité. Ce qui ne fut pas le cas en Italie et en France. Dans ces pays, on a encore les moyens d’assurer la sécurité des juifs. Notre ex Premier Ministre De Croo, assis sous un drapeau palestinien, soutient les étudiants à l’Université de Gand en affirmant que s’il avait été étudiant il aurait, comme eux, occupé l’Université. Pas un mot pour les otages. On abhorre Netanyahou, mais on ne critique pas le Hamas.
Clientélisme, maître-mot de nos politiques.

À l’ULB, dont je suis professeur émérite, on va plus loin, on occupe et on détruit les locaux, 750 000 euros de dégâts. Il paraît que l’ULB porte plainte contre ces voyous qui n’ont de respect que pour les terroristes, mais à ma connaissance aucune arrestation.

À l’entrée de l’avenue Héger il est indiqué : « Ici l’intolérance n’est pas tolérée », les étudiants juifs, rudoyés autant physiquement que psychiquement et dont la parole est interdite sur le campus, vous diront qu’à l’inverse, ici on tolère l’intolérance.

L’ULB coupe les relations académiques avec les universités israéliennes et les prestigieux centres de recherche (comme l’Institut Weizmann), sans penser que c’est dans ce monde académique que la population est la plus progressiste, le plus anti Netanyahou, et qu’il est fondamental de garder ces échanges, ces ponts qui garantissent l’avenir de nos démocraties. Les étudiants en Droit choisissent de donner le nom de Rima Hassan à leur promotion. Sans doute par provocation contre l’ordre établi, leur choix, comme prévu dans les statuts, est respecté et accepté par les autorités académiques. Mais ni le CA de l’ULB, ni la Rectrice, ni le Doyen de la Faculté de Droit n’expriment la moindre défiance vis-à-vis de ce symbole de haine totalement en rupture avec les valeurs de l’ULB.

La peur, face à l’entrisme islamiste présent dans toutes les strates de notre société, a infiltré mon université, celle de la libre pensée, de la libre expression, du Libre examen. Il n’a fallu qu’une trentaine d’agités anti-israéliens pour interdire à l’ancien ambassadeur d’Israël Elie Barnavi, progressiste et très critique de Netanyahou, de s’exprimer à l’intérieur de l’ULB. Raison sécuritaire ! Précédemment, même cause même effet : l’ancien Président d’Israël, Shimon Pérès, pourtant Prix Nobel et Honoris Causa de l’ULB, a subi la même insulte…  Perte de boussole. À l’ULB on se soumet aux extrémistes. J’ai honte.

Concert au Festival de Flandre à Gand, le chef Lahav Shani déprogrammé — alors qu’il devait diriger l’orchestre de Munich — parce qu’il ne dénonce pas Israël.
L’époque des tribunaux de l’esprit est arrivée. 

Merci Monsieur De Wever. Vous avez sauvé ce qui reste d’honneur belge en allant à sa rencontre à Munich… mais vous êtes bien seul. À Paris, malgré les protestations, le concert de Lahav Shani avec le Philharmonique d’Israël n’a pas été annulé et, en dépit des incidents, s’est terminé sous les ovations.

Assez curieusement, l’extermination de dizaines de milliers palestiniens par Assad en Syrie, les massacres au Soudan, celui des Ouïghours en Chine et surtout, plus près de nous par notre histoire, dans l’est du Congo, ne provoquent pas de condamnation.
Silence des médias. Aucun juif ne tient une arme dans ces régions.
« No Jews, no news ».

Je pensais qu’avec le cessez-le-feu, ces intimidations permanentes allaient s’arrêter… malheureusement ce n’est pas le cas. Dernier exemple en date, l’ULB, au lieu de calmer le jeu, autorise une Belge présente sur la flottille pour la Palestine à donner une conférence à la Faculté de Médecine, et un affichage sauvage de stickers demandant « une grève pour la Palestine » est apparu.

Quels excès devrons-nous encore subir, nous juifs, avant de voir un retour aux valeurs de responsabilité de nos politiques, de nos universités, de nos médias ?
À un ami proche du pouvoir qui me demande s’il y a de l’antisémitisme d’État, je lui réponds : non, il n’y a pas d’antisémitisme d’État, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas dans l’État.

Camus nous rappelle : « Ni peur ni haine, c’est là notre victoire » et, comme lui, j’estime que la haine peut paradoxalement révéler une force intérieure invincible. Ainsi, si je pouvais parler à mon père, je lui dirais qu’aujourd’hui, sous le couvert d’un antisionisme de façade – floraison des « oui mais », « réaction disproportionnée » et « génocide » —, je suis inquiet de l’antisémitisme d’atmosphère que je ressens en Belgique.

Mais avec les mots de Camus en soutien, j’espère connaître, comme lui, une résilience.

Créé en mars 2024 suite aux massacres du 7 octobre et à leurs répercussions en Europe, l’Institut Jonathas est un centre d’études et d’action contre l’antisémitisme et contre tout ce qui le favorise en Belgique.