Le 7 octobre, la Belgique et moi #35

Ne jamais baisser les bras

ALAIN BACK

09 décembre 2025

Ce jour- là, je rejoins mon petit-fils Thomas qui tous les samedis remplit son rôle au sein d’une équipe de hockey. Comme souvent j’assiste à son match. Il est efficace et joue avec une certaine élégance…Ce soir, nous dînons au restaurant. Nous sommes heureux et la est vie belle…

Soudain, les écrans s’affolent, les réseaux sociaux déversent un torrent d’informations et de commentaires incroyables. Israël est frappé par un pogrom dévastateur. Très vite nous mesurons l’ampleur de ce séisme. 1200 personnes perdent la vie en quelques heures et plusieurs centaines d’otages sont kidnappés à Gaza.

La société israélienne est dévastée et plongée dans l’horreur. Jamais depuis les années 40 une telle catastrophe n’avait frappé à ce point la communauté juive à l’échelon mondial. Nombre de ses membres se rappellent avec douleur leur propre histoire et celle de leurs parents et grands-parents. La bascule est immédiate et infiniment douloureuse.

Mais quelque chose se grippe très vite… Israël réagit avec force et vigueur, et manifestement, cela déplait…Aux condoléances de circonstance, succèdent très rapidement les justifications de l’action du Hamas… À Bruxelles, sur les antennes radios, une ministre fédérale s’interroge quant à la qualification du Hamas en tant que mouvement terroriste… La Présidente de la Chambre des Représentants ose renvoyer dos à dos le Hamas et Israël, quelle indignité ! Progressivement, mais sans retour possible, s’instille dans la société belge un climat malsain, délétère… L’antisionisme, cet antisémitisme qui ne dit pas son nom, emplit pas à pas l’espace public et médiatique. Les réseaux sociaux amplifient le phénomène sans limite aucune et crachent la haine d’Israël…

Très vite la sémantique odieuse s’impose. “Génocide”, “apartheid”, “famine organisée”, ces mots cruels seront utilisés durant les mois qui suivent… Comment ont-ils osé ?

Les rues de Bruxelles s’emplissent à l’occasion de certaines manifestations d’une foule haineuse, ignorante, biberonnée à l’antisémitisme répétant à l’envi son désir de voir disparaître la seule démocratie du Moyen-Orient. Au quotidien, les marches de la Bourse de Bruxelles sont envahies et occupées par celles et ceux qui ne souhaitent qu’une chose  « Free Palestine, from the river to the sea »… La vision de ce lieu occupé me plonge dans un passé lointain. Juin 1967, j’avais 16 ans, nous défilions, mes parents, ma sœur et moi, sur les boulevards du bas de la ville en soutien à Israël. À l’époque, la société belge apportait de façon quasi unanime son appui à l’État hébreu. Autre temps, autres mœurs.

Depuis le 7 octobre, nous basculons dans une situation qui progressivement nous rappelle les années 30, nauséabondes. La Belgique aussi se distingue par une déferlante d’actes, de choix, de positionnements qui interpellent. Depuis son incapacité à sécuriser l’organisation d’un match de football opposant la Belgique à Israël obligeant la délocalisation de la rencontre à Budapest, à l’impossibilité d’une de ses plus prestigieuses universités à assurer la sécurité d’étudiants juifs, et son incapacité au maintien de débats démocratiques , jusqu’à l’interdiction d’un concert de l’Orchestre philharmonique de Munich à Gand au prétexte que celui-ci est dirigé par le chef israélien Lahav Shani…

À son retour d’Israël, un avocat défenseur des droits humains ose comparer ses trois ou quatre jours de détention dans une prison à l’univers concentrationnaire. Il ose de tels propos, je le cite, « en pesant [ses] mots ». Cet individu incarne désormais l’indécence. Les exemples sont multiples, on ne les compte plus… Quelque part, notre société semble s’accommoder de cette atmosphère… Cette résignation s’apparente à une capitulation. Une indifférence aux menaces rencontrées par la communauté s’installe. 

Le 12 octobre dernier, malgré les efforts exceptionnels des organisateurs, nous n’étions que 2000 à dénoncer dans les rues de Bruxelles les dérives de cet antisémitisme croissant. Mais où sont les Belges si prompts à dénoncer le racisme ? Ont-ils perdu la mémoire de l’Histoire ? 

La haine s’amplifie et le dialogue s’avère impossible. Lors de mon interpellation citoyenne au Conseil communal d’Ixelles du 27 mars dernier, visant au rétablissement du jumelage de la commune avec la ville israélienne de Megiddo, révoqué l’année précédente par une décision de la majorité « progressiste » de l’époque, je quitte la salle sous protection policière, et me vois interpellé par un membre de Bruxelles Panthères qui me souhaite de « crever en enfer, facho ! ». Édifiant…

Nombre de partis politiques à la recherche permanente et à n’importe quel prix d’un électorat potentiel enchaînent les déclarations aux accents   matamoresques, et condamnent « le génocide ». Aucune pudeur, aucune retenue, du racolage. À Paris, à la tribune du Sénat, Claude Malhuret, président de Médecins sans Frontières de 1978 à 1986 les épingle par une formule dévastatrice, mais tellement pertinente : « Un siècle à bouffer du curé pour finir par lécher les bottes des mollahs » ; tout est dit…

Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui.

Cela fait maintenant plus de deux ans que cet événement dramatique et unique bouleverse la vie de nombre d’entre nous. Certains se réjouissent de notre résignation et de notre culpabilité ; qu’ils ne se fassent aucune illusion : le temps de la résistance à l’ignominie et de la réplique à l’outrance est venu.   

Créé en mars 2024 suite aux massacres du 7 octobre et à leurs répercussions en Europe, l’Institut Jonathas est un centre d’études et d’action contre l’antisémitisme et contre tout ce qui le favorise en Belgique.