Le 7 octobre, la Belgique et moi #27
Une page de plus dans le livre des exils
Laurent Alhadeff
11 septembre 2025
Aujourd’hui, je dis au revoir à un ami.
Pas un “ami de circonstance”, pas une simple connaissance d’un dîner ou d’une conférence.
Un Ami. (Fermez les yeux et imaginez le votre) !
De ceux qui connaissent votre voix au téléphone sans que vous ayez à vous présenter.
De ceux qui savent pourquoi vous vous taisez parfois, et pourquoi vous parlez fort d’autres fois. Surtout.
Il quitte la Belgique.
Et quand je dis “quitte”, je veux dire quitte.
Pas pour un long voyage ou un changement de décor.
Non : il part avec Sa famille, Ses valises, Ses souvenirs, Son histoire.
Il part parce que ce pays, Notre pays, n’a plus été capable de lui garantir ce que tout citoyen devrait avoir sans condition : la sécurité.
On me dira : “Oui, mais…”.
Oui mais les statistiques.
Oui mais les cas isolés.
Oui mais on connaît toujours “quelqu’un qui connaît quelqu’un” qui a vécu ça.
Sauf qu’ici, ce n’est pas “quelqu’un”.
C’est mon ami.
Et il ne part pas à cause d’un fantasme ou d’une paranoïa.
Écoutez.
Il part parce que sa réalité de Juif en Belgique n’a plus rien à voir avec celle de ses voisins qui, eux, peuvent ignorer ou minimiser le cri d’alarme que nous lançons depuis des années, et de plus en plus fort.
Deux réalités qui ne se rencontrent pas.
Voilà la fracture.
Il y a votre Belgique, où l’on croit encore que l’anti-judaïsme est une maladie éradiquée.
Et la nôtre, où chaque décision, chaque déplacement, chaque mot prononcé en public doit être pensé, anticipé, filtré.
Ce départ, c’est un échec collectif.
Car quand un Juif (ici notre cas) quitte la Belgique pour raisons de sécurité, ce n’est pas seulement un individu qui part.
C’est un avertissement qui s’éloigne, un thermomètre qui se brise, un signal rouge qu’on choisit d’ignorer.
Les statistiques ne protègent personne.
Elles ne servent qu’à rassurer ceux qui veulent continuer à croire que tout va bien.
Mais elles ne serrent pas la main de mon ami quand il ferme sa porte pour la dernière fois.
Elles ne voient pas son regard quand il a du expliquer à ses enfants pourquoi ils vont changer de pays. Le plus triste c’est que les enfants n’ont pas du avoir un long discours afin de comprendre. Impossible de les préserver à ce niveau là. Dans leurs écoles avec les profs et les autres élèves c’est aussi leurs réalité.
Une page de plus dans un vieux livre d’exils
Ce n’est pas la première fois que cela arrive dans notre histoire.
À chaque fois, les départs ont commencé par quelques-uns, puis par dizaines, puis par milliers.
À chaque fois, ceux qui restaient se disaient : “Cela ne nous arrivera pas.”
Et à chaque fois, l’histoire leur a donné tort.
Aujourd’hui, mon ami ajoute une page à ce vieux livre d’exils.
Et le plus terrible, c’est que ce livre, nous aurions aimé ne plus jamais l’ouvrir.
Alors demain je vais le serrer dans mes bras et je vais le regarder droit dans les yeux. Un regard, un échange qui dira: « je ne sais pas lequel de nous deux a raison mais faisons en sorte que nous n’ayons pas tort chacun ».
Créé en mars 2024 suite aux massacres du 7 octobre et à leurs répercussions en Europe, l’Institut Jonathas est un centre d’études et d’action contre l’antisémitisme et contre tout ce qui le favorise en Belgique.



