Le 7 octobre, la Belgique et moi #5

J’ai tiré un trait

Pascale Gruber-Ejnès

4 mars 2025

Après le 7-Octobre 2023…

J’ai tiré un trait. Non sur mon inconscience ou ma naïveté : Juive née après la Shoah, je n’étais ni inconsciente ni naïve. Pourtant, longtemps, j’avais imaginé que ma vie relevait d’une « aberration historique » : celle d’une génération n’ayant que peu ou pas connu directement l’antisémitisme. Puis la conférence de Durban, les attentats, les relents de haine anti-juive revenus à la surface ont ébranlé le sentiment d’avoir vécu cette « exception historique ». D’un trait, le 7-Octobre a fini de pulvériser cette croyance. 

J’ai tiré un trait sur ma conviction que depuis la Shoah, l’Etat avait assimilé la leçon et qu’il nous protégerait. J’ai réalisé que la cause palestinienne avait réussi un exploit, en dépit du terrorisme qui la soutient : celui de fédérer l’ensemble de la planète. L’enjeu climatique n’est jamais parvenu à en faire autant. Mais il est vrai qu’abandonner Israël, et regarder d’un air suspicieux les Juifs qui ne veulent pas le voir mourir, demande nettement moins de sacrifices que de devenir vegan ou de changer de voiture.

J’ai tiré un trait sur la gauche bien pensante. J’ai découvert que l’extrême gauche me terrorisait davantage que cette extrême droite en laquelle je n’ai aucune confiance. 

J’ai tiré un trait – un gros –  sur ma carte de presse (numéro FO3048). Certes, en tant que pensionnée, elle ne m’est guère utile. Mais, surtout, elle m’est devenue totalement, complètement étrangère. Comment comprendre ou accepter que jamais, ou presque, le journaliste de service, à l’oral ou à l’écrit, ne signale pas que le mot « génocide » accolé à Gaza est celui diffusé et voulu par le Hamas, sans véracité établie ? Quel est ce métier où émotion, complaisance, ignorance et parti-pris remplacent, en toute bonne conscience, la recherche des faits et des causes ? 

J’ai tiré un trait sur ces ex-collègues ou connaissances qui, tout en sachant mes liens avec Israël, ne m’ont jamais appelée, laissant le silence parler à leur place. Si fort. Par chance, il y a aussi eu des voix, rares mais précieuses, d’amis non-Juifs capables de rester lucides et bons. Et la pensée fugitive que ces âmes lumineuses pourraient être, demain, de futurs Justes.

J’ai tiré un trait sur les nuits calmes et les jours sereins. Comment le seraient-ils lorsque tout à coup, comme un boomerang, des images d’otages vous sautent à l’esprit ? 

J’ai tiré un trait sur mon présent. Propulsée dans un passé jamais oublié, me voilà dans la peau de ces Juifs et de ces Juives d’Allemagne ou d’ailleurs dans les années 1930. Dans nos maisons de verre, comme eux, impuissants et minuscules, nous regardons un monde où une majorité, indifférente ou convaincue, bascule, bascule, bascule du côté obscur de la force, tout en se drapant du mot « vérité ».  

J’ai tiré ces traits et d’autres encore. 

Puis j’ai pensé que j’allais les réunir pour m’y appuyer. Et tenter de rester debout. Comme eux, là-bas, en Israël. 

Debout. 

Créé en mars 2024 suite aux massacres du 7 octobre et à leurs répercussions en Europe, l’Institut Jonathas est un centre d’études et d’action contre l’antisémitisme et contre tout ce qui le favorise en Belgique.