Brusselmans ne viendra pas à… Bruxelles !
Joël Kotek et Daniel Rodenstein, Institut Jonathas
1. Brusselmans à Bruxelles !
Tout récemment, des procédures judiciaires ont été annoncées contre Herman Brusselmans pour antisémitisme. L’écrivain avait déclaré dans l’une de ses chroniques publiées dans l’hebdomadaire Humo « enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif qu’il croiserait », tout en précisant que tous les Juifs n’étaient pas des salauds meurtriers, mais qu’en fin de compte, ils méritaient tous d’aller en enfer. Dont acte !
Ce qui surprend dans cette affaire, ce n’est pas tant sa réaction indignée que celles de ses patrons et, plus encore, de la majorité des responsables éditoriaux flamands. Prenez De Morgen, ce quotidien supposé de gauche, qui nous a gratifié d’une tribune de Léon De Bock, l’un des journalistes phares du Nord de notre pays, défendant Brusselsmans. Selon cet éminent ténor (ancien rédacteur en chef de la VRT et ex-rédacteur en chef adjoint de Humo), de puissantes et riches organisations (« kapitaalkrachtige organisaties ») intimideraient « non seulement Brusselmans, mais aussi les médias et la société ». Un classique de l’accusation dite en miroir qui consiste à retourner l’attaque contre les vraies victimes. Pareille assertion, assurément antisémite, méritait un droit de réponse, qui fut aussitôt refusé. Que, finalement — antisémitisme primaire (passion), secondaire (à cause de la Shoah) ou encore tertiaire (électoral) obligent —, Herman Brusselmans n’ait subi aucune sanction est une chose, mais que des responsables culturels néerlandophones aient jugé opportun de l’inviter, le 24 septembre prochain, dans une bibliothèque uccloise pour ouvrir leur saison littéraire est une autre chose, bien moins compréhensible. Comment songer en effet à accueillir dans une commune bruxelloise un individu justifiant l’égorgement des Juifs alors que des attentats au couteau se multiplient en Europe ? Poser la question, c’est y répondre comme l’a bien fort compris le bourgmestre d’Uccle M. Dilliès qui, contacté par la secrétaire générale de l’Institut Jonathas, a pu convaincre les organisateurs de l’événement de l’inanité de leur projet. Brusselmans ne viendra pas à Uccle. L’heure doit être à l’apaisement !
2. Brusselmans : l’exemple même de l’antiracisme… antisémite
Brusselmans nous assure qu’il n’est pas raciste. Sans le connaître, nous avons tendance à le croire, mais comment expliquer la violence antisémite de son propos ? Partons d’un a priori et d’une hypothèse. Notre homme n’a jamais été accusé de racisme. S’il avait publié la moindre insulte ou invective à l’encontre d’Afrodescendants, de personnes musulmanes ou de membres de la communauté LGBTQIA+, il aurait certainement été poursuivi et condamné. Comment comprendre alors son aversion répétée pour les Juifs ?
Une hypothèse nous vient à l’esprit. Serait-il possible d’en vouloir aux Juifs et rien qu’aux Juifs, tout en se disant (apparemment) antiraciste ? Est-il concevable que d’aucuns puissent être ouverts à la diversité, à l’amitié sans arrière-pensée avec des personnes d’origine différente, tout en excluant un groupe humain particulier de cet accueil bienveillant ? C’est une hypothèse plausible selon le psychiatre Aaron Beck, en posant le concept de « raisonnement émotionnel ». Ce concept identifie une perception biaisée de la réalité, influencée par des émotions et des préjugés inconscients, au point que les faits ne peuvent plus être interprétés de façon impartiale et raisonnée.
Il est ainsi possible d’être bienveillant envers tout le monde, sauf un groupe humain particulier, perçu comme exclu de l’Humanité, autrement dit déshumanisé. Ce groupe devient, dans l’imaginaire, réduit à l’état de sous-homme, de cafard ou de rat. Il devient dès lors non seulement possible de penser à son élimination, mais il est même souhaitable, tout en faisant foi d’antiracisme. C’est dans ce contexte qu’il deviendrait presque naturel de proclamer urbi et orbi, dans une chronique pseudo-littéraire, un désir de meurtre. Ici, à l’encontre des Juifs, décrits par notre bekende vlaming en véritables untermenschen, sales, repoussants, répugnants. Relisez bien sa chronique. Son dégoût des Juifs, digne de l’hebdomadaire nazi Der Stürmer, apparaît absolu et sincère ; d’où son sentiment d’incompréhension, voire de colère face à ceux qui osent le traiter d’antisémite. On peut vouloir tuer des Juifs, détruire leur pays, les « nazifier », et ressentir la fierté à l’idée d’être une bonne personne qui ne fait que demander justice au nom du Bien commun. Cette haine rédemptrice se retrouve dans tous les processus d’exclusion et de génocide, des Arméniens en Turquie en 1915, des Juifs durant la Shoah ou des Tutsis au Rwanda en 1994.
3. Un procès pour quel résultat ?
Si la plainte débouche sur un procès, nous serions curieux d’entendre les arguments de ses avocats. Vont-t-ils plaider pour la liberté d’expression et/ou de la presse ? Vont-ils invoquer le passé irréprochable de l’accusé ? Vont-ils expliquer jusqu’à justifier son dérapage, certes antisémite, par la tragédie en cours à Gaza ? Et surtout, quelle sera la décision du juge ? À suivre sans modération. Ce qui apparaît certain est que l’on puisse à nouveau désirer la mort des Juifs en toute impunité, mais pas encore, faut-il s’en féliciter, la planifier.