Episode communal de l’antisionisme radical d’atmosphère belge

Joël Kotek

Depuis plusieurs mois, certains exécutifs communaux bruxellois multiplient les gestes symboliques et les prises de position univoques sur le conflit israélo-palestinien. À Forest, le drapeau palestinien a été hissé sur la maison communale sans vote ni débat, accompagné d’un appel qui laisse à penser qu’Israël commettrait un génocide. Ce geste, présenté comme humaniste, constitue en réalité une atteinte manifeste à la neutralité des institutions publiques et s’inscrit dans un climat d’antisionisme d’atmosphère, où toute voix discordante est marginalisée, et où les Juifs belges se découvrent une fois de plus désignés sans être nommés.  Dans la chronique qui suit, Ruth Kupersztejn, témoin direct du conseil communal qui a eu lieu le 8 juillet dernier, analyse le caractère politique et illégal de cette décision, et décrit comment l’espace communal a été détourné au profit d’un discours militant, dans une atmosphère pesante et hostile. Un témoignage édifiant sur la dérive partisane d’un pouvoir local qui oublie qu’il est censé représenter tous les citoyens, sans exception.

Quand les autorités communales importent le conflit israélo-palestinien sur le petit territoire de la commune bruxelloise de Forest

20 juillet 2025

Ruth Kupersztejn

Le 19 juin dernier, sans s’embarrasser d’un vote, ni même d’une consultation du conseil communal, le conseil des bourgmestre et échevins de la commune de Forest a hissé d’autorité sur la maison communale le drapeau palestinien, accompagné d’une banderole affirmant l’obligation de la Belgique “d’agir pour aider à prévenir ou d’arrêter un génocide”.

Le bourgmestre rajoutait notamment dans sa communication sur l’évènement :

« Nous hissons le drapeau palestinien pour appeler la Belgique à reconnaître l’Etat de Palestine » et encore « Nous rappelons l’obligation internationale de prévenir ou d’arrêter les génocides, à Gaza comme ailleurs » !

Ce faisant, le collège prend des prérogatives qui confinent à l’excès de pouvoir et prétend dire le droit international sans y avoir la moindre compétence (dans tous les sens du terme). Mais surtout il bafoue la neutralité et impose sa vision manichéenne des choses à tous ses habitants.

Les Forestois sont mis devant le fait accompli d’une violation évidente de la neutralité qui s’impose pourtant aux autorités communales, par un envahissement de leur maison communale, dans laquelle se trouvent tous les services publics auxquels ils doivent avoir recours. Les avis divergents ne sont ni entendus, ni considérés, comme si prétendre que le conflit à Gaza est à sens unique et constitue un génocide était la seule opinion possible et acceptable en Belgique.  Le poujadisme électoraliste des partis de la majorité communale (PS, Ecolo et PTB) empêche toute contestation, toute nuance ou expression de la complexité du conflit et encore moins la solidarité avec d’autres victimes civiles du même conflit ou d’ailleurs de toutes les autres guerres en cours. Pourtant, les autorités communales doivent en principe protéger leurs citoyens dans le libre choix de leurs opinions religieuses, philosophiques et de conscience ; l’administration communale se doit de rester neutre et impartiale, garantissant un traitement égalitaire de tous. Le Conseil d’État précise :

« (…) Dans un État de droit démocratique l’autorité se doit d’être neutre, parce qu’elle est l’autorité de tous les citoyens et pour tous les citoyens et qu’elle doit, en principe, les traiter de manière égale sans discrimination basée sur leur religion, leur conviction ou leur préférence pour une communauté ou un parti. Pour ce motif, on peut dès lors attendre des agents des pouvoirs publics que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils observent strictement, à l’égard des citoyens, les principes de neutralité et d’égalité des usagers. » (arrêt CE n°210.000 du 21 décembre 2010)

En l’espèce, non seulement un “camp” est choisi dans un conflit (sous forme d’une bannière étrangère qui unit sous ses couleurs autant les terroristes que les civils palestiniens), mais il faut aussi constater que seules certaines tragédies sont dénoncées, au mépris complet des autres. Parce que si le respect du droit international émeut autant les autorités communales, on peut légitimement s’étonner que les Ukrainiens qui subissent, sur notre propre continent, une guerre dévastatrice n’aient pas droit à la même considération, pas plus que les femmes iraniennes ou afghanes, les Soudanais, Congolais, les Yézidis… malheureusement la liste des victimes oubliées et des conflits silencés est longue.  Dans sa déclaration de politique générale, la majorité à Forest s’engageait pourtant à prévenir les discours polarisants et à soutenir les initiatives locales “qui favorisent le dialogue, la médiation et le vivre-ensemble”… mais l’option prise dans les faits est tout autre et dénote d’une dérive inquiétante. Lors de l’installation du conseil communal du 1er décembre 2024, le nouveau bourgmestre faisait pourtant solennellement la déclaration suivante:

« (…) Nous nous engageons à représenter l’ensemble des Forestois et des Forestoises. Nous croyons à la force du rassemblement. Pour réussir un pari commun, il faut fédérer et éviter les fractures… Chaque Forestois et Forestoise a le droit et doit pouvoir se sentir en sécurité dans notre commune quelles que soient ses opinions. »

D’autre part, le Code de déontologie communal forestois précise :

Article 4 – Impartialité, Exemplarité et Neutralité de la fonction publique

Les mandataires préservent l’égalité des droits au niveau de la fonction publique, c’est à dire qu’ils/elles doivent assurer leurs mandats à l’égard de tous/toutes les citoyen.ne.s dans les mêmes conditions, quels que soient leurs opinions religieuses ou politiques, leur origine, ou leur sexe/genre. Tout.e citoyen.ne et toute institution est traité.e équitablement et sans discrimination d’aucune forme. Les décisions sont prises et les services rendus sans considération partisane. Les mandataires s’expriment en veillant à tenir des propos à la hauteur de leur mandat en évitant notamment les attaques personnelles, les calomnies et les propos diffamatoires”

La violation de cet article est criante.

Article 7 – Confidentialité et devoir de réserve 

Sans préjudice à la transparence, les mandataires s’abstiendront strictement de communiquer des informations qui relèvent de la confidentialité, ou de sources non fiables ou partielles. Les mandataires veilleront enfin à maintenir un devoir de réserve, notamment avec les membres du personnel communal, notamment en évitant de leurs imposer leurs opinions sur les autres mandataires ou autres parties prenantes, et en évitant de solliciter leurs opinions politiques.”

Là encore, les opinions de la majorité sont de fait imposés à tous ceux qui fréquentent la maison communale, en ce compris le personnel employé par la commune, ce qui installe un climat délétère et oppressant vis-à-vis du personnel de la commune. Face à ces constats, un citoyen forestois a utilisé le mécanisme de l’interpellation citoyenne afin de s’adresser au conseil communal, pour lui exposer les difficultés des nombreux citoyens qui ne sont pas en accord avec le hissage du drapeau et de la banderole litigieux. Il a sollicité leur enlèvement, au nom du respect de la neutralité des services publics. La récupération électoraliste manifeste et le choix d’une ligne idéologique imposée sans nuance étaient, de même, dénoncés par le requérant. Cette interpellation a été programmée au conseil communal du 8 juillet dernier, et j’ai pu y assister. Un bon nombre de partisans en keffieh s’y trouvait également, y faisant régner une ambiance électrique ; l’agressivité y était palpable. Un membre de la communauté juive aurait été menacé et insulté, ce dont il s’est plaint sans que cela ne donne lieu à la moindre remarque ou récrimination de la part des autorités. Celles-ci se sont bornées à menacer d’arrêter là les débats… option pratique s’il en est. Dans le fond de la salle se trouvaient notamment un monsieur portant un keffieh orné des symboles du Hamas et une dame enroulée dans un immense drapeau palestinien qui criait des insanités qui ont été largement tolérées.  L’interpellant s’y est exprimé clairement, soulignant son incompréhension face à l’instrumentalisation d’un conflit distant de 4.000 km au détriment de la cohésion sociale et du vivre-ensemble au sein de la commune. Suite à la question posée, il revenait d’abord aux chefs des groupes politiques au sein du conseil communal de s’exprimer s’ils le souhaitaient. On ne sera pas surpris de s’être fait servir exactement le même discours par les trois partis de la majorité de gauche, qui n’ont abordé que le fond du conflit israélo-palestinien sans s’inquiéter de la question de la neutralité qui leur était posée. Ils ont rivalisé de qualificatifs extrêmes pour condamner l’Etat d’Israël sans nuance, passant sous silence l’action actuelle des mouvements terroristes palestiniens, comme si Gaza ne comptait que des victimes civiles et que le conflit opposait une armée d’un côté à des femmes et des enfants désarmés de l’autre. Le narratif est tristement connu. Le service d’ordre était mal à l’aise et démuni, et les timides “rappels à l’ordre” du conseil fort peu écoutés par une partie de l’assistance, qui applaudissait et hurlait à chaque condamnation supplémentaire d’Israël et à la dénonciation de la guerre qualifiée de “nettoyage ethnique” par les trois groupes politiques de la majorité.

Les groupes MR-Défi et Les Engagés ont, par contre, soutenu l’interpellant et souligné adéquatement la violation de la neutralité communale et le déficit démocratique affectant ces décisions litigieuses de la majorité. En vain évidemment… puisqu’il revenait au bourgmestre de répondre à l’interpellant et que celui-ci a – à nouveau – largement ignoré le problème de neutralité soulevé pour se concentrer sur le fond du conflit israélo-palestinien (ce qui ne lui était nullement demandé).  Les seules « réponses » données par le bourgmestre Spapens (PS) ont été de dire que la neutralité n’empêchait pas l’humanité face à un génocide (sic), et d’autre part qu’une motion avait également été votée pour condamner le pogrom du 7 octobre 2023 peu après les événements, en sorte qu’il n’y avait pas de parti pris. Après vérification, il s’est avéré que ladite « motion » dit bien d’autres choses, et que les partis de la majorité communale – qui ont insisté à plusieurs reprises sur cette motion « humaniste » – se sont bien moqués de l’assistance. Cette motion du mois de décembre 2023 condamnait en effet en une phrase les attaques du Hamas contre les civils israéliens, mais réprouvait aussi et surtout « la riposte disproportionnée du gouvernement israélien, les bombardements indiscriminés, que l’ONU et certains ONG qualifient de crimes de guerre et contre l’humanité ainsi que le déplacement de population contraire au droit humanitaire international comme dénoncé par l’ONU » et réclamait « La reconnaissance immédiate de l’État de Palestine par la Belgique pour parvenir à une résolution pacifique sur la base de deux États », autant qu’il sollicitait « une interdiction fédérale du commerce des produits en provenance des territoires occupés par Israël. »

Chacun jugera, mais il apparaît en tous les cas qu’il ne s’agissait pas principalement d’une expression de solidarité envers les victimes israéliennes massacrées par les factions islamistes terroristes. L’interpellation citoyenne s’est clôturée par un dernier mot laissé à l’interpellant, qui n’a pu qu’exprimer sa frustration, en l’absence de réponse argumentée à ses questions légitimes. Sa dernière intervention a été accueillie par des huées d’une partie de l’assistance et des insultes, qui n’ont évidemment pas aidé à élever le débat, ni à apaiser les tensions.

Au terme de cette expérience de « démocratie » locale, une chose est sûre : les autorités ne peuvent feindre d’ignorer le trouble public et la division que le fait d’arborer des drapeaux étrangers et partisans fait régner au sein de la population forestoise.

Conclusion éditoriale de l’Institut Jonathas

Ce qui s’est joué ce 8 juillet à Forest n’est pas un simple épisode de politique locale. C’est un signal inquiétant de plus dans un climat européen où l’antisémitisme se dissimule derrière les oripeaux du progressisme, et où l’obsession antisioniste sert à polariser les opinions à des fins électorales. En confondant compassion et condamnation sélective, humanisme et simplisme idéologique, les autorités communales violent à la fois le principe de neutralité, le devoir de rassemblement, et le respect dû à tous les citoyens, sans distinction d’origine ni de conviction. À l’heure où l’on proclame défendre le « vivre-ensemble », le geste du bourgmestre de Forest ne fait que creuser le fossé entre les communautés et transformer l’espace public en tribune partisane. La banalisation d’un tel geste, surtout lorsqu’il cible un seul État et alimente l’idée que le conflit ne comporte qu’un bourreau et qu’une victime, affaiblit la démocratie locale. Il est urgent de rappeler que la commune n’est pas un organe diplomatique, ni un tribunal international — mais un lieu de service, de neutralité, de confiance. Le drapeau d’un camp, quand il remplace l’écoute de tous, devient toujours le drapeau de l’exclusion.

Créé en mars 2024 suite aux massacres du 7 octobre et à leurs répercussions en Europe, l’Institut Jonathas est un centre d’études et d’action contre l’antisémitisme et contre tout ce qui le favorise en Belgique.