Lettre ouverte à Mme l’Inquisitrice Pétra de Sutter

Joël Kotek, historien et président Institut Jonathas

27 septembre 2025

Madame la Rectrice Petra De Sutter,

Mea culpa, mea maxima culpa. Fils de votre bonne ville de Gand, quoique né réfugié de l’ONU, je viens confesser, devant votre Saint-Office académique, une faute doctrinale. J’enseigne dans une université belge — que, par charité, je tairai — et je poursuis des recherches qui devraient déboucher sur un livre dont je ne mesurais pas la nocivité intrinsèque. Après avoir lu votre entretien dans De Morgen, me voilà saisi d’une sainte panique. Vous y déclarez, ex cathedra, qu’« un prof qui affirme qu’il n’y a pas de génocide à Gaza doit être interpellé », que ces propos « vont complètement à l’encontre de la science », et qu’« il s’agit là d’une opinion dissidente » incompatible, sans doute, avec la chaire. « Je vous cite encore « si cette opinion devient un sujet de recherche et que l’on veut tenter de démontrer qu’il n’y a pas un génocide à Gaza. C’est une limite qui ne peut pas être franchie. ». Me voilà interdit de pensée et de recherche, catalogué « dissident » à l’instar du philosophe Maarten Boudry, qui enseigne la philosophie dans votre université. J’entends déjà le bruit des clefs du geôlier.

Oui, je le confesse : je suis un hérétique. Depuis plus de trente ans, j’explore les génocides du XXᵉ siècle — non seulement la Shoah, mais aussi les génocides des Hereros, des Arméniens, des Grecs pontiques, des Araméens et des Tutsis. Dans ma candeur, fort de centaines de publications, je pensais pouvoir travailler sur le (non-)génocide de Gaza. J’ignorais que je professais l’antiscience. Quelle erreur ! Que mes collègues, amis et éditeurs — de Paris à New York — qui m’ont laissé m’enfoncer dans cette déviation soient convoqués à l’Index : assurément une bande d’hérétiques à jeter au bûcher.

Dans ma naïveté encore, je croyais la question non tranchée, la Cour internationale de justice (CIJ) comme la Cour pénale internationale (CPI) n’ayant pas encore rendu leurs conclusions. Quelle bêtise ! Vos autorités, en leur grande Sagesse, l’ont d’ores et déjà proclamé Urbi et Orbi : credo quia decretum est.

J’imaginais, enfin, en toute mauvaise foi, qu’il existait une libertas docendi (choix des objets, méthodes, hypothèses, accès aux sources, publication de résultats même controversés) et une libertas loquendi extramuros, à condition de ne point parler abusivement au nom de l’institution. Abjuration : je vois bien que ces antiques canons relèvent, désormais, du musée des superstitions.

Mea culpa, ma sœur. Je pensais, tout comme mon collègue Maarten Boudry, qu’il est trop tôt de parler de génocide à Gaza, qu’aucune thèse n’était interdite de séjour à l’université, que la liberté académique garantissait de chercher, d’enseigner, de publier et de débattre sans crainte d’ingérence politique, religieuse, économique ou idéologique, sous réserve des canons de compétence, d’intégrité scientifique et d’éthique. Oui, le racisme et l’antisémitisme n’ont plus droit de cité dans nos universités, contrairement à ce qui fut le cas jusqu’en 1944. Avant la Shoah, la haine des personnes noires, juives et homosexuelles était monnaie courante. Ce n’était pas encore un délit comme aujourd’hui, mais une opinion parmi d’autres, portée notamment par des enseignants, comme ce fut le cas à l’université de Gand. Je ne vous apprends rien en rappelant que votre belle université compta d’authentiques nazis en son sein, tout aussi fiers de leurs certitudes scientifiques. Je me cantonne à la faculté de médecine dont vous êtes issue. Je songe à l’anatomiste Roger Soenen, idéologue de la Rassenkunde (science de la race), membre de la SS et de DeVlag, et zélé dénonciateur d’étudiants juifs. Je songe au doyen de la faculté Léon Elaut (VNV), au professeur Reimond Speleers (VNV) et au docteur Frans Daels, figure centrale du noyau de médecins collaborateurs de Gand. C’est Daels qui organisa la venue à l’université du Reichsgesundheitsführer Leonardo Conti le 23 juin 1941. La science, toujours la Science, rien que la science… dévoyée, il est vrai ! Et toujours cet air du temps qui s’en prend toujours aux mêmes boucs émissaires ! Je reçois déjà humblement votre objection : la traque des Juifs n’a rien à voir avec celle des sionistes, des génocidaires en puissance diront, à juste titre, les scientifiques dévots.

Comment vous le dire sans vous effrayer : je suis moi-même de cette engeance. Mais permettez-moi de souligner, à ma décharge – et pour éviter d’être brûlé devant l’Église Saint-Bavon – que je soutiens depuis plus de quarante ans, notamment au sein du CCLJ, la création d’un État palestinien, et que je suis né dans une famille libre-exaministe et antifasciste : deux de mes oncles rejoignirent les Brigades internationales ; l’un d’eux, Nuchem (Michel) Kotek, tomba les armes à la main lors du siège de Barcelone en 1939.

Permettez-moi une question, très profane, pour votre Saint-Tribunal de la Vérité : la majorité a-t-elle toujours raison ? Pendant des siècles, nos meilleures universités professèrent à l’unisson que les Noirs étaient des sous-hommes, les Juifs des tueurs de Dieu et d’enfants et que le soleil tournait autour de la Terre. Les autorités dites académiques ont-elles toujours raison ?

Prof. Dr Joël Kotek,
président de l’Institut Jonathas et Faculty member of the Institute for the Study of Global Antisemitism and Policy (ISGAP), New York.

PS. Le Morgen et le Standaard ont refusé de publier cette lettre ouverte.

Créé en mars 2024 suite aux massacres du 7 octobre et à leurs répercussions en Europe, l’Institut Jonathas est un centre d’études et d’action contre l’antisémitisme et contre tout ce qui le favorise en Belgique.