Image : Zoya Cherkassky « The Terrorist Attack at Nova music festival » 2023

Le 7 octobre, la Belgique et moi #3

Comment je suis devenue juive

Natalie David-Weill

18 février 2025

Le 7 octobre 2023, alors que je lisais La Libre dont le titre était : Israël ; entre paranoïa et névrose, la radio annonçait l’attaque du Hamas en Israël  qui tuait  1200 personnes. Les chiffres n’étaient pas annoncés mais le moins qu’on puisse dire est que cet article était malvenu, même si les journalistes ne pouvaient pas imaginer ce pogrom lors de la parution du journal. Mais dès le 8 octobre, le monde découvrait les tortures, les viols, les 251 otages dont des femmes et des enfants et déjà Israël était en cause. C’était de la faute des Israéliens, des sionistes, des juifs et le Hamas dansait de joie en envoyant les films des atrocités qu’ils avaient commises. Le monde se rangeait à leur côté contre Israël, cet état colonisateur qui l’avait bien cherché. Si leur faute était existentielle, elle était morale aussi :  comment pouvait-on danser au festival de musique Nova si près de l’enfer de Gaza ? La définition du Hamas comme organisation terroriste n’était finalement pas si claire. Cette absence d’empathie, pour dire le moins, m’a renvoyé à mon identité.

Je n’avais jamais été vraiment juive, même si mon nom l’indique et insiste, Weill est précédé de David, comme si ça ne suffisait pas ; même si j’ai écrit « Les mères juives ne meurent jamais » en pensant à ma grand-mère ; même si je travaille sur l’antisémitisme pour un roman qui se situe pendant la seconde guerre mondiale ; même si j’ai une émission littéraire sur Radio Judaïca. Ma mère est catholique et je suis baptisée « pour être Française ». Pour les juifs, je suis un peu juive, j’ai la tradition, les histoires en commun, pour les catholiques, je ne suis pas juive sans être tout à fait catholique, je connais peu la religion. Cela ne me dérangeait pas. J’avais considéré que juif était un adjectif de plus qui était loin de me définir mais s’ajoutait à une liste ; française, résidente belge, élevée à New York, catholique et juive. Le 7 octobre ou le 8 et les jours qui suivirent, j’ai été hébétée, sous le choc. J’ai reçu des messages de sympathie qui me renvoyaient à une identité juive que je ne pensais pas endosser. A un salon littéraire en France où mes livres étaient exposés, une femme m’a insultée sur mon identité juive. Et c’est là que je crois être devenue juive. J’ai pensé à Sartre pour qui c’est le regard d’autrui qui fait du juif un juif, l’antisémite qui vous assigne à cette place. J’en suis l’exemple.

Et puis ce silence assourdissant. Personne pour défendre les victimes, pour parler des otages. Ou si peu.

Et puis ces étudiants qui hurlent « De la rivière à la mer » qui éliminent Israël de la carte, avec la certitude d’avoir raison d’être pour le Hamas, qui veut leur mort.

Et puis ces présidentes d’universités américaines qui acceptent l’antisémitisme car il dépend du « contexte ».

Et puis les féministes qui ne disent rien du viol des femmes, si elles sont juives.

Et puis les mots qui n’ont plus leur sens : sioniste n’est plus un droit pour les juifs de se représenter comme un peuple et d’avoir leur pays, cela signifie être criminel. Hamas est devenue une métonymie de la Palestine. Génocide n’est plus la destruction méthodique d’un groupe humain mais la guerre à Gaza qui provoque des morts. Les Nazis ne représentent plus les membres du  parti national-socialiste de Hitler qui cherchaient à exterminer les juifs mais les Juifs eux-mêmes, coupables.

Et puis, la trahison de la gauche française qui ne considère pas que l’antisémitisme de l’extrême gauche soit une raison suffisante pour ne pas s’allier à eux.

Et puis la Belgique qui ne veut pas regarder le film du 7 octobre ni qualifier le Hamas d’organisation terroriste.

Et puis le fait de devoir prendre parti malgré l’horreur de la guerre de part et d’autre.

On n’en parle pas, entend-on comme à l’époque de l’affaire Dreyfus. Les réseaux sociaux vous envoient des articles ou des images de gens qui pensent comme vous. Réconfortant puisqu’on comprend ne pas être seul, c’est surtout inquiétant car si l’on ne cherche pas à comprendre l’autre, comment pourra-t-on jamais se parler et enfin envisager un avenir à deux états : Israël et la Palestine.

Mais je me demande pourquoi le monde entier est soudain, depuis le 8 octobre, spécialiste du Proche-Orient ? Et l’antisémitisme ? Cela n’a rien à voir, c’est le gouvernement de Netanyahu, la politique d’Israël qui oblige à réagir, entend-on malgré les chiffres vertigineux d’agressions antisémites en Europe comme en Amérique ou en Australie. Je pensais à tort que l’antisémitisme était minoritaire. Je constate avec effarement que cette haine, qui simplifie la lecture du monde, est universelle et proliférante. Or la question à se poser serait : comment peut-on ne pas être juif ?

Créé en mars 2024 suite aux massacres du 7 octobre et à leurs répercussions en Europe, l’Institut Jonathas est un centre d’études et d’action contre l’antisémitisme et contre tout ce qui le favorise en Belgique.