Le 7 octobre, la Belgique et moi #15

NOS 7 OCTOBRE À VENIR

Jean-Jacques Speyer

13 mai 2025

Le lendemain lors d’un cours à Paris, tous portables éteints…  Avais- je bien lu à l’aube qu’il y avait eu un incident au festival “Tribe of Nova” non loin de Gaza? Le soir, tétanisé je m’en veux de ne pas être sorti avant. Je ne soupçonnais pas qu’il y avait eu un tel massacre. Un pogrom…Depuis et souvent quand  – en ville – je parle d’Israël autour de moi…silence. Atroce…On ne veut pas en parler. La parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée disait Talleyrand. Ici le silence révèle sa pensée hideuse, j’aurais tendance à rajouter. Finalement on me lache: mais enfin tu comprends, depuis le temps que rien n’a été fait pour les Palestiniens. Israël n’a pas voulu d’une solution à deux états. Cet évènement n’a rien d’étonnant! Je tente d’expliquer, mais personne ne m’écoute. Ils ne veulent rien savoir. J’essaie de résumer, on regarde ailleurs : la solitude d’Israël de BHL.

Mes interlocuteurs font fi de tout contexte du mode opératoire du Hamas, de toute connaissance des réalités du Fatah ou du FPLP, ni de toutes les factions de l’OLP. Encore moins que dès le 30 Novembre 1947 au lendemain du vote par l’ONU du plan de partage de la Palestine les Arabes ne veulent rien savoir et affrontent les forces Juives. Le mandat britannique sur la Palestine s’achève et une guerre civile éclate entre juifs et arabes du monde musulman entier. Ces derniers n’arrivent à s’imposer ni par les armes ni par le dialogue, essuient une défaite patente et l’état sioniste émerge. La Jordanie tente encore en vain de sceller un accord pour un pays uni avec une autonomie pour les Juifs. Le 14 Mai 1948 David Ben Gourion proclame la declaration d’indépendance de l’Etat d’Israël et le conflit prend de plus belle, les volontaires affluent de toute part se joindre aux forces de la Haganah face à un monde arabe 30 fois plus peuplé et 200 fois plus étendu. Un président de République a beau avoir fait preuve d’ignorances historiques, il ne semble même pas se rendre compte que l’âpre guerre d’indépendance fût remportée grâce à l’intelligente organisation héroïque du précurseur de Tsahal. 

Le désintérêt est complet, l’incompréhension est patente. Je ne pourrai plus fréquenter ces soit-disant amis dont la femme me dit: “Mais les juifs ont toujours été massacrés, c’est comme ça”. Le souffle coupé, j’évoque René Girard et sa monumentale anthologie “La Violence et le Sacré”. Quand la société humaine fait face à des crises et que le sacré est en jeu, elle s’attaque à des boucs émissaires utiles et à portée de main, mimétisme ambient à l’appui. Quand la rage est passée, on ne leur est même pas reconnaissant d’avoir endossé le rôle de victime pour faire passer la pilule si j’ose dire. La lâcheté prévaut pour esquiver ce rôle pendant le jeu de chaises musicales où le Juif se retrouve finalement tout seul. Le monde ne se rend même pas compte que le rôle de victime émissaire fut assumé par un Juif précisément il y a quelques deux mille ans. Et depuis on honore la mémoire d’un personage qui serait abasourdi d’apprendre que l’on s’en prend à ses coreligionnaires comme objets de violence sacrificielle. Je ne justifierai plus jamais !

Depuis que les Juifs ont supprimé le sacrifice expiatoire d’animaux au pied du Temple de Jérusalem (Lévitique 1, 6/8-13) ils sont eux-mêmes devenus des offrandes potentielles.  C’est comme si je voyais ce superbe tableau de Chagall “La Crucification Blanche”, sans ses habituels symboles chrétiens où un pogrom a dévasté un village entier avec une foule de paysans dont on se demande s’ils attaquent ou s’ils défendent. On y voit une synagogue en feu, le chaos s’est emparé de la société toute entière, le mal s’est répandu partout. Des fugitifs rejoignent leurs embarcations, semblent avoir trouvé une planche de salut, l’espoir renaît…Mon grand-père a précisément vécu cette même issue salvatrice grâce à un juste parmi les nations.  Depuis le 7 octobre, j’ai souvent entendu des propos haineux et totalement bouleversants : lors d’une conférence de soit-disant libres penseurs où se trouvait exposée une étoile de David, un des participants a d’abord félicité l’orateur puis s’est soudainement transformé en une torche de colère haineuse, écume à la bouche pour dire que cette étoile n’était pas du tout à sa place mais qu’ils (les Juifs, NDLR) recevraient bientôt la monnaie de leur pièce et au centuple. Puis lors d’une réception quelqu’un me dit être “judenfreundlich” mais farouchement opposé au sionisme, échange standard pour se glisser dans la glose de l’antisémitisme. Quand je lui dis que je ne vois pas pourquoi il faille se dire ami des juifs en allemand, il botte aussitôt en touche…Moi qui n’ai pas l’air d’un juif mais plutôt d’un russe quand je porte ma casquette et mes lunettes, il m’arrive de surprendre quand je provoque en riposte…

Ces deux exemples pour dire que la lecture des évènements contemporains illustre l’antisémitisme glauque lorsqu’il montre son vrai visage. Le Pape défunt dont la disparition fait l’objet d’un recueil planétaire a emballé le tout le dimanche 20 avril en croyant nécessaire de ficeler un ultime message politique: d’un coté il dénonce l’antisémitisme qui se répand dans le monde entier, de l’autre il décrie la situation humanitaire dramatique à Gaza. Avec ça débrouillons-nous : l’antisémitisme est-il la cause du 7 Octobre?  L’antisémitisme croissant est-il une conséquence du 7 Octobre? Mélanger causes et conséquences crée des cercles vicieux. Les humains doivent apprendre à les identifier. La boucle est donc bouclée pour un nouveau tour de piste depuis le cataclysme du 7 Octobre, de la Shoah à nos jours et après. C’est une question désormais existentielle. Croit-on vraiment que la Shoah allait rester sans suite géopolitique au Moyen-Orient? Prendrait-on les juifs pour des petits peureux, angoissés, faibles et trop timorés pour pouvoir se défendre? Doit-on devant l’horreur absolue inverser la réalité avec une perversité sans nom? En ce qui concerne la soit-disante attaque de l’Ukraine sur la Russie, transposer ce scénario à Gaza supposerait que ce soit donc Israël qui ait attaqué Gaza. Sur Israël-Gaza il y a eu un vrai retournement de réalité. Les Gazaouis seraient les nouveaux habitants d’un Auschwitz imaginaire s’insurge Pascal Bruckner. Le Hamas est comparé aux résistants de 1940. Les Juifs sont les nouveaux massacreurs. Ainsi, les otages seraient-ils à oublier… 

J’avais un ami dans un autre cercle de libre penseurs qui évoqua la disparition de son fils ainé à la suite d’un accident de moto. En sa mémoire il entreprit d’apprendre à utiliser ce diabolique moyen de transport dès après les funérailles. Emu, je me pris d’amitié pour lui, fût choisi comme témoin à son remarriage, la précédente union ayant périclité suite au décès de ce fils. On l’aura peut être deviné, c’est du même ami qu’il s’agit au début de cet article, désormais ex-ami. L’empathie n’est certes pas une monnaie d’échange. Et ne doit jamais l’être mais quand même, l’amitié pourrait nourrir. Hannah Arendt dit que la perte de l’empathie humaine est un signe révélateur d’une culture sur le point de sombrer dans la barbarie. Quand on demande à Primo Levi s’il y a des hommes bons, il réfléchit comment répondre et explique en chimiste: il y a des hommes bons et il y en a qui ne le sont pas, chacun est un mélange de bon et de pas bon. 

Pendant la Shoah, des personnalités comme Monseigneur Saliège à Toulouse et le Consul du Portugal Aristide de Sousa-Mendes à Bordeaux ont risqué leur carrière et leur vie pour sauver des Juifs et des non-Juifs. Certains sont lassés d’entendre parler de la Shoah et invoquent que 80 ans de jérémiades finissent par les ennuyer. Signe de temps difficiles à venir qui ne les effleure même pas. Indigné je peux dire qu’ils ignorent probablement qu’au lendemain de ce génocide sans pareil l’on en parlait guère. Ma propre famille a payé le prix fort, des dizaines de nos membres Hollandais ne sont pas revenus des camps, disparus. Mais les survivants n’en parlaient pas, abasourdis par la chape qui pesait sur leur conscience, se sentant coupables d’avoir survécu.  Les questions fustigeaient en sourdine: les Juifs auraient-ils commis quelques écarts, mais lesquels? Ce n’est que bien plus tard que les langues se délieront sur la Shoah.  Mon grand-père eut l’intuition du drame à venir dès avril 1940 et emmena sa famille vers le sud, reçut le précieux sésame de la part du grand consul du Portugal à Bayonne et muni de visas Américains obtenus à Lisbonne se réfugia avec sa famille à New-York après avoir embarqué en octobre 1940. Cette semaine, le jour de Yom HaShoah j’ai remis la liasse de documents concernant le père déporté d’une cousine de mon père au Musée de l’Holocauste et des Droits Humains à la caserne Dossin à Malines. Disparu à Buchenwald. La Shoah ne peut devenir un show médiatique mais un témoignage bienveillant pour armer la mémoire du futur. Devoir de mémoire que Simone Veil n’aimait pas, le seul devoir étant d’enseigner et de transmettre. Soit, mais pensons au futur où même les descendants des victimes ne seront plus là pour passer le relais du témoignage. Il s’agit de se préparer à l’époque qui vient en prenant bien soin de ne pas réduire la judéité au seul sacrifice atroce et incommensurable qu’est la Shoah et dépouillé de ses valeurs religieuses et culturelles.  

Le peuple juif s’est douloureusement soulevé et réveillé après le 7 Octobre. Sa solitude est bien patente au sein d’un monde franchement en manque d’empathie. Il m’arriva de me frayer un chemin au travers d’une réception et de me trouver pile devant François Mitterrand à Djakarta en Septembre 1986. Face à la recrudescence d’attentats revendiqués par le Hezbollah je lui demande “tout de go” si les menaces à l’encontre de la communauté juive étaient le prélude à une nouvelle vague de violences antisémites. Le président ne reste pas placide, je l’ai visiblement piqué au vif et sa réponse éloquente mais tellement généralisante et cynique me prouve aussitôt son manque d’empathie. Le temps de passer son chemin, il me fixe bien du regard l’espace d’un bref instant, ce que je vois. Nous étions encore loin de la publication du livre de Patrice Duhamel « La Photo » où sa poignée de main avec Philippe Pétain en disait long sur son sinistre parcours.  Les zones d’ombre que soupçonnaient mon père à son sujet étaient encore loin d’être officialisées. Depuis les travaux d’exploration inlassables de Valérie Porteret n’arrêtent pas leurs investigations sur une époque d’épouvante relayée jusqu’à la nôtre. La Présidente de l’Assemblée nationale Française Yaël Braun-Pivet est à nouveau victime de menaces à caractère antisémite sur son compte X. Guillaume Erner exprime sa profonde inquiétude sur l’avenir de la présence juive en diaspora et plaide pour le droit des juifs à l’indifférence c’est à dire de les laisser une fois pour toutes… tranquilles. Mais de citer Marc Bloch dans l’étrange défaite : « je ne revendique jamais mon origine que dans un cas : en face d’un antisémite. Erner observe que « tant qu’il y aura des antisémites, je dirai que je suis juif. » Je me souviens d’avoir aperçu il y a des années sur le portique d’une église place de Jérusalem à Rome un texte sur les Hébreux qui revient à dire : Il y a un peuple incrédule à la nuque raide qui se gratifie de pensées pas bonnes. Au nom du bien, tout parait permis nous dit Joël Kotek. Quels lendemains du 7 Octobre seraient-ils bien à augurer ?

Créé en mars 2024 suite aux massacres du 7 octobre et à leurs répercussions en Europe, l’Institut Jonathas est un centre d’études et d’action contre l’antisémitisme et contre tout ce qui le favorise en Belgique.