Le 7 octobre, la Belgique et moi #19

« Avant et après le 7 octobre »

Sœur Marie-Jeanne

11 juin 2025

Avant

Pour être honnête, j’étais ignorante du judaïsme. Je me suis initié dans un premier temps grâce aux émissions : « A l’origine » (France 2) et le « Chema Israël » sur RTBF. J’ai cherché ensuite un contact avec le Grand-Rabbin de Bruxelles Albert Guigui et il m’a aidée à trouver ce dont j’avais besoin pour étudier les parachas et les fêtes juives en me donnant généreusement quelques de ses livres. Tout cela a déclenché une grande joie et un enthousiasme. Quand j’étais professeur de religion à l’école secondaire (quelques heures seulement) je n’avais pas beaucoup de bagages. Je me sentais en effet très ignorante à donner des commentaires sur certains textes, mais que j’ai pu découvrir chez vos Sages. Je me suis rendu compte qu’il me fallait davantage connaître Jésus en tant que Juif. Et j’ai trouvé de belles sources. Je regrette les erreurs que je dois confesser envers les pharisiens. Je n’ai pas assez nuancé la critique chrétienne et j’ai généralisé certains critiques à tort concernant ce groupe de juifs religieux. Maintenant j’admire comment ils ont essayé de motiver et d’inspirer les Juifs par suite de la perte du Temple et de leur liberté. J’étais aussi très ignorante de tout ce que les Juifs ont réussi à redresser dans une incroyable résilience, sans éducation à la haine, mais en cherchant comment réagir aux fléaux qui traversent le monde, et cela en étant si violemment persécutés et accusés à tort et à travers de tous les maux du monde. Je me suis énormément intéressée aux témoignages des survivants et témoins de la Shoah. Ce qui me frappe chaque fois, c’est cette énorme résilience. Ils ont droit d’être fières de leurs enfants, petits-enfants et des études qu’ils ont faites pour améliorer le monde et mettre au service leurs connaissances avec un savoir faire dans tant de domaines. J’ai appris beaucoup pour inspirer ma propre vie et prière, ma méditation et mon étude personnelle des textes, que nous avons en commun. On en a beaucoup, n’est-ce pas. En moi, il y avait ce désir de pouvoir travailler ensemble avec les Juifs concernant nos sources communes et arrêter les préjugés, les caricatures en paroles ainsi que ces dessins affreux.

Je suis allée manifester ‘pour les deux Etats’ (une première fois en 2016, je crois) pensant que c’était une vraie solution. Malheureusement, je me suis trouvée seule au milieu d’une foule qui criait : « Mort aux Juifs ! » Et aussi le slogan “From the river to the sea”. Comme je me trouvais par hasard au milieu de jeunes filles de 16-18 ans, je leur ai fait remarquer, que j’étais venue pour la paix et que leurs slogans ne démontraient que de la haine. Qu’est-ce qu’elles auraient fait, si nous les Belges après les deux attentats de Bruxelles, on avait organisé une manifestation pour exiger, qu’on chasse tous les Arabes hors de notre pays ? Elles ont quand même fait l’effort de chercher un autre slogan en criant : « Free Palestine ». J’ai quitté la manifestation en voyant qu’ils brûlaient les drapeaux d’Israël.  Ce jour-là, je vous assure, j’ai fortement changé. Je suis retombée les pieds sur terre. Il y avait du travail à faire ! Dire que j’avais fourni des efforts pour ne pas généraliser après l’attentat et qu’en voyant les gens dans le métro, qui n’osaient pas s’asseoir à côté d’un garçon marocain et le dévisageaient de la tête aux pieds, s’il ne portait pas d’explosifs ? Je me suis assise à côté de lui et j’ai demandé un renseignement, rien que pour avoir un contact normal. Il m’a donné l’info et s’est révélé très attentif à moi. Ne pas généraliser, mais bâtir la paix en étant bienveillant envers chaque personne. Je l’essaye.

 Après le 7 octobre

Pour moi Simha Torah est une fête de joie, que j’aime beaucoup. Danser autour de la Parole du Seigneur ! Alléluia ! Maintenant ce jour-là est comme souillé pour moi. J’ai tout de suite des larmes aux yeux. Je revois tous ces beaux visages qu’on a massacrés.

La cruauté est indescriptible. Depuis ce jour, j’en fais des cauchemars. Je constate que la nuit, je me promène auprès des otages dans les tunnels sous terre où j’essaye de leur donner du courage et de les prendre dans mes bras… Je prie tous les jours pour que vous les Juifs, soyez en sécurité et je constate malheureusement que ce n’est pas le cas, même pas ici en Belgique. Il n’y a pas un jour qui passe, que je ne suis pas avec vous et je dois fournir un effort sérieux pour être au courant, car les médias ne donnent pas les infos des deux côtés et les infos ne sont pas fiables, non plus. Où trouver des infos de ce qui arrive des deux côtés ? Je lis tous les jours « The Times d’Israël » et le « Forum Juif ». J’écoute Radio Judaïca sur You Tube, je trouve aussi les témoignages des otages libérés, les réactions du Grand Rabbin de Paris Haïm Korsia, que j’apprécie beaucoup. Vous comprenez, que je dois faire de grands efforts seule et que du côté néerlandophone il n’y a rien de positif qui sort sur Israël.  Le lendemain du massacre le slogan était déjà en marche. ‘C’est normal ! Ils ont fait de Gaza une prison en plein air !’

D’une part j’étais choquée, d’autre part, je l’avoue, je comprenais tout de suite ce qu’on voulait dire. En 2005 je suis allée en Israël en pèlerinage, où j’ai vu le mur avec un graffiti énorme d’un dragon, qui dévorait les enfants. On n’était pas loin de Bethleem. Pas d’avenir pour ces enfants, était clairement suggéré. Les check points, les files. Je savais qu’on avait enlevé beaucoup d’arbres : des oliviers, des deux côtés du mur, Je savais, que des familles étaient séparées comme dans le temps avec le mur en Allemagne. J’avais vu la grande pauvreté et les enfants qui mendiaient le long de la route. Je voyais ce peuple en grande difficulté. Tout cela m’est en effet revenu. Seulement je suis d’accord que les Palestiniens sont eux-mêmes pris en otages par le Hamas et leurs dirigeants. On ne fait pas des tunnels si grands et des usines souterraines d’armes énormes sans que la population en soit au courant. On aurait mieux utilisé tout cet argent pour faire un métro et des abris. L’éducation de la haine, je l’ai entendu formuler par une mère : « Mes enfants vont devenir des martyrs ! J’en suis fière », prenant une photo de son petit garçon avec un grand fusil entre les mains. Ce que je trouve tellement triste, c’est que ceux qui habitaient près de Gaza, avaient des réunions entre Juifs et Palestiniens pour bâtir la paix entre eux. Une forme d’amitié s’installait et de l’entraide. Certaines de ces femmes ont été assassinées aussi le 7 octobre.

Oui, je suis choquée et le « Never again », « Plus jamais ça, il est bel et bien nécessaire de recommencer le travail pour la guérison des relations, la rencontre en vérité avec les infos et témoignages des deux côtés, avec nos sources religieuses communes.

C’est vrai qu’on ne peut rester insensible en voyant toutes les destructions et les chiffres des morts. Cela crève les yeux que Gaza est une ruine.

Je ne veux pas rester dans le négatif. Je veux travailler à beaucoup de petits ponts. Seulement il faudra que l’on apprenne à se comprendre et à s’écouter ; à étudier ensemble notre histoire douloureuse. Les mêmes anciens préjugés circulent toujours ; les mécanismes de la haine et de l’antisémitisme, on doit les analyser ‘ensemble’. Le professeur Thomas Gergely en a parlé clairement sur RTBF. Du côté catholique un beau travail a été fait en France par les évêques de France. Je songe à ce bel ouvrage « Déconstruire l’antijudaïsme chrétien », édité par la conférence des évêques de France[i].

A mes yeux c’est un manuel en 20 chapitres pour y remédier aussi en Belgique.

Je termine sur cette note d’espérance.

Pourquoi rester dans des sentiments négatifs, si on peut travailler à l’avenir ensemble avec un cœur ouvert à la vérité et le courage, d’une vraie rencontre, les yeux dans les yeux.

Ne sommes-nous pas tous créés à l’image de Dieu ? 

[i] Préface du Grand-Rabbin de France Haïm Korsia. Avant-propos de Mgr Eric de Moulins-Beaufort. Ed du Cerf 2023.

Créé en mars 2024 suite aux massacres du 7 octobre et à leurs répercussions en Europe, l’Institut Jonathas est un centre d’études et d’action contre l’antisémitisme et contre tout ce qui le favorise en Belgique.